Génération Bataclan
Publiée le 19/11/2015 dans Pros
« La théologie c’est simple comme dieu et dieu font trois ». Jacques Prévert.
Parmi les cibles choisies par les terroristes djihadistes, il y a eu le Bataclan. Un lieu cardinal de la musique à Paris où, comme dans les bars et restaurants proches, nous nous sommes souvent retrouvés. Un lieu fréquenté ce soir là par 1500 fans du groupe de blues-rock les Eagles of Death Metal (1). Des amateurs de musique jeunes, entreprenants, positifs, représentatifs d’une génération cosmopolite, tolérante, altruiste, fière de ses identités multiples. Tout ce que l’idéologie des kamikazes abhorre, la musique étant pour eux un instrument du diable (2). Ce péché musical faisant partie d’un tout comprenant le refus de toute interprétation théologique (car l’usage de la raison éloigne le fidèle du message divin), de toute médiation culturelle ou historique (voir Palmyre), de l’influence « occidentale », et bien entendu de la démocratie et de la laïcité (puisque cet islam entend prédominer sur les lois « inventées par l’homme » et nie toute séparation entre le temporel et le spirituel)
Dans cette vitrification de la pensée, les musiques étant véhiculées d’émotions, de psychologie personnelle, de plaisir collectif, d’ouverture, de rapports aussi bien au sacré qu’au profane, aux rituels qu’au festif, sont pour ces totalitaires verts, à proscrire et, si possible, physiquement : on le vit en Algérie avec l’assassinat de musiciens et chanteurs durant « la décennie noire » qui fit 80.000 morts ou, plus récemment, au nord du Mali. Face à ce millénarisme apocalyptique de l’ère numérique, les réseaux d’acteurs des musiques du monde se trouvent avec une responsabilité de tous les instants. Celle de défendre, ici et ailleurs (via salles, festivals, actions, médiations de terrain, éducation populaire, échanges internationaux), la diversité des expressions culturelles et la polyphonies de leurs langages musicaux, mais aussi toutes les valeurs universalistes qui devraient aller avec (cf. voir la charte du réseau Zone Franche).
Lors des attentats du vendredi 13 novembre, nous étions quelques uns présents au Maroc où se tenait le marché « Visa For Music ». Une plateforme qui valorise les échanges musicaux en Afrique, autour de la Méditerranée ou au Moyen-Orient. Nous y avons rencontrés des musiciens et des professionnels d’Algérie, de Syrie, du Liban, d’Irak, de Turquie comme du Kenya, du Nigeria ou d’Inde, pays qui comme la France ont été confrontés au même poison et à d’identiques terreurs. Nous avons partagé avec eux la conviction qu’il ne fallait rien céder sur nos points de vue pluralistes, de nos héritages en faveur des libertés, de nos modèles de sociétés dans lesquels la musique est l’un des passeports pour la compréhension de l’Autre. C’est donc à la consolidation de cette diaspora d’acteurs de terrain que nous devons travailler.
Pour autant, nous savons qu’une démocratie de basse intensité porte en elle les germes des chaos à venir, qu’elle se nourrit aussi de fractures sociales et historiques et de conflits importés. Que le « vivre-ensemble » ne se décrète pas, qu’il est le fruit d’une action quotidienne, souvent humble mais prolongée au niveau des régions, des villes, des quartiers, par le biais de l’éducation, le sport, les loisirs, les associations, la mixité des cultures et la fécondation permanente des droits républicains. Que le strict respect des principes de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, relatifs aux libertés de conscience, d’opinion, d’expression, de création, n’a pas toujours été explicité, transmis, imposé, quand il le fallait. Comme ont été malmenées les valeurs de notre corpus démocratique et laïque en particulier celles relatives aux droits des femmes, au nom de relativismes culturels qui font fi des combats de l’histoire pour l’émancipation des hommes et des peuples et contre toutes les discriminations. Et nous savons aussi, qu’au delà de la défaite de l’entreprise Daesh qui est inéluctable, le débat sur la régénération d’une spiritualité musulmane, eut égard au ver métaphysique djihadiste dans le fruit de la civilisation islamique (3), nous concerne. Comme il nous faudra continuer de nous mobiliser contre les amalgames, les stigmatisations, les clivages, les replis, tous ces schémas de pensée dans lesquels tant de forces délétères voudront nous enfermer.
Frank Tenaille, journaliste musical (le 16/11/2015).
(1) Dont l’ingénieur du son est tombé sous les balles comme Nathalie Jardin, régisseuse du lieu, et plusieurs professionnels du monde musical. Les équipes endeuillées au Bataclan étant celles de Mercury et d’Universal, d’Alias Productions, de Nous Productions, d’Astérios Spectacles, de la Maroquinerie, des Inrockuptibles, de D17 et de France 24.
(2) Un imam de Brest ne dénonçait-il pas il y a peu devant des enfants les instruments de musique et les voix féminines ? Ceux qui s’y adonnent devant être « engloutis sous la terre » et « transformés en singes ou en porcs ».
(3) Les musulmans de France notamment au-delà de la condamnation des attentats ne pouvant faire l’économie d’un débat sur la matrice théologique des émules de Daesh.
Dans cette vitrification de la pensée, les musiques étant véhiculées d’émotions, de psychologie personnelle, de plaisir collectif, d’ouverture, de rapports aussi bien au sacré qu’au profane, aux rituels qu’au festif, sont pour ces totalitaires verts, à proscrire et, si possible, physiquement : on le vit en Algérie avec l’assassinat de musiciens et chanteurs durant « la décennie noire » qui fit 80.000 morts ou, plus récemment, au nord du Mali. Face à ce millénarisme apocalyptique de l’ère numérique, les réseaux d’acteurs des musiques du monde se trouvent avec une responsabilité de tous les instants. Celle de défendre, ici et ailleurs (via salles, festivals, actions, médiations de terrain, éducation populaire, échanges internationaux), la diversité des expressions culturelles et la polyphonies de leurs langages musicaux, mais aussi toutes les valeurs universalistes qui devraient aller avec (cf. voir la charte du réseau Zone Franche).
Lors des attentats du vendredi 13 novembre, nous étions quelques uns présents au Maroc où se tenait le marché « Visa For Music ». Une plateforme qui valorise les échanges musicaux en Afrique, autour de la Méditerranée ou au Moyen-Orient. Nous y avons rencontrés des musiciens et des professionnels d’Algérie, de Syrie, du Liban, d’Irak, de Turquie comme du Kenya, du Nigeria ou d’Inde, pays qui comme la France ont été confrontés au même poison et à d’identiques terreurs. Nous avons partagé avec eux la conviction qu’il ne fallait rien céder sur nos points de vue pluralistes, de nos héritages en faveur des libertés, de nos modèles de sociétés dans lesquels la musique est l’un des passeports pour la compréhension de l’Autre. C’est donc à la consolidation de cette diaspora d’acteurs de terrain que nous devons travailler.
Pour autant, nous savons qu’une démocratie de basse intensité porte en elle les germes des chaos à venir, qu’elle se nourrit aussi de fractures sociales et historiques et de conflits importés. Que le « vivre-ensemble » ne se décrète pas, qu’il est le fruit d’une action quotidienne, souvent humble mais prolongée au niveau des régions, des villes, des quartiers, par le biais de l’éducation, le sport, les loisirs, les associations, la mixité des cultures et la fécondation permanente des droits républicains. Que le strict respect des principes de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, relatifs aux libertés de conscience, d’opinion, d’expression, de création, n’a pas toujours été explicité, transmis, imposé, quand il le fallait. Comme ont été malmenées les valeurs de notre corpus démocratique et laïque en particulier celles relatives aux droits des femmes, au nom de relativismes culturels qui font fi des combats de l’histoire pour l’émancipation des hommes et des peuples et contre toutes les discriminations. Et nous savons aussi, qu’au delà de la défaite de l’entreprise Daesh qui est inéluctable, le débat sur la régénération d’une spiritualité musulmane, eut égard au ver métaphysique djihadiste dans le fruit de la civilisation islamique (3), nous concerne. Comme il nous faudra continuer de nous mobiliser contre les amalgames, les stigmatisations, les clivages, les replis, tous ces schémas de pensée dans lesquels tant de forces délétères voudront nous enfermer.
Frank Tenaille, journaliste musical (le 16/11/2015).
(1) Dont l’ingénieur du son est tombé sous les balles comme Nathalie Jardin, régisseuse du lieu, et plusieurs professionnels du monde musical. Les équipes endeuillées au Bataclan étant celles de Mercury et d’Universal, d’Alias Productions, de Nous Productions, d’Astérios Spectacles, de la Maroquinerie, des Inrockuptibles, de D17 et de France 24.
(2) Un imam de Brest ne dénonçait-il pas il y a peu devant des enfants les instruments de musique et les voix féminines ? Ceux qui s’y adonnent devant être « engloutis sous la terre » et « transformés en singes ou en porcs ».
(3) Les musulmans de France notamment au-delà de la condamnation des attentats ne pouvant faire l’économie d’un débat sur la matrice théologique des émules de Daesh.