# Newsletter de Zone Franche n°127 (octobre 2015)
Les réfugiés, la fraternité et l’utopie. Il est acquis que la funeste guerre de Georges Bush - au nom du pétrole - est à l’origine de la profonde déstabilisation du Moyen-Orient, comme l’intervention européenne en Lybie a engendré un chaos au Sahara. Que le dualisme du sunnisme et du chiisme est instrumentalisé dans des surenchères intégristes. Que des ambitions théologico-politiques usent de l’échange inégal Nord-Sud et de la question sociale comme de chevaux de Troie. Il n’empêche que face à la terre brûlée, un père cherche à sauver sa famille, une femme ses enfants, cela sous toutes les latitudes. Ainsi, des Grecs aux Arméniens, des Russes aux Espagnols, la France a eu à gérer des flux d’exilés politiques. Le nazisme et la privation pour les Juifs de leurs droits, donnant naissance à une nouvelle catégorie juridique, celle d’apatrides, les « sans-papiers » de l’époque. 1945 jetant ultérieurement sur les routes 12 millions d’Allemands qui forcèrent l’ONU à créer le HCR (Haut-Commissariat aux Réfugiés) lequel de provisoire devint permanent, prenant en charge par la suite Palestiniens ou victimes de conflits africains ou asiatiques. La déferlante migratoire actuelle pose donc des problèmes qui ne sont pas inédits sauf qu’ils se produisent dans le cadre d’une hyper-mondialisation avec une Europe, certes contestable dans ses atermoiements, mais pouvant peser sur les nouveaux défis géostratégiques sises sociétés civiles l’y conduisent (1). Le problème est qu’outre des conflits militaires, les migrants sont la face cachée d’une économie globale dans laquelle les marchandises (et les capitaux) circulent librement mais point les hommes. Migrants qui symboliquement, face à des apartheids qui ne disent pas leur nom, cherchent à étendre la libre circulation globale des marchandises aux hommes. Car les migrants sont surtout les victimes de la croissance d’un système mondialisé basé sur le pillage de la nature, la dilapidation des matières premières, l’épuisement des nappes phréatiques, la chute des ressources halieutiques. Des terreaux sur lesquels fleurissent les seigneurs de guerre. Ce qui signifie, qu’outre une crise climatique qu’il faudra anticiper, l’on assistera également à des bouleversements à grande échelle dus aux flux de populations en détresse. Ces migrants cartographiant les défis géostratégiques du XXIe siècle et préfigurant un horizon qui ne peut s’appréhender avec une militarisation croissante. Ces « hors-du-monde » étant appelés à renouveler les formes de souverainetés et susciter des formes de coopérations inédites. Dès lors, au-delà de solutions transitoires (zones refuges, plan Marshall de construction…) pour qui refuse l’illusion d’une bunkerisation de l’Europe ou l’option « ouverte » libérale (avec mise en concurrence de populations), il est nécessaire de faire effort de prospective pour voir comment, collectivement, peuvent se dessiner de nouvelles formes de solidarité et coopération. Sur ce registre, les cultures du monde ont beaucoup à dire, fortes de leurs héritages en matière de savoirs, de mémoires, d’échanges, d’inventivités, d’identités plurielles, de rapport entre le local et l’universel, bref d’humanités partagées et d’émergence de citoyennetés. L’engagement des acteurs du réseau Zone Franche en faveur de la libre circulation des artistes, des dialogues interculturels, de diversités faites de chair, de voix, et de sons, étant inclusif de notre parti-pris pour cette utopie concrète (2). Les musiques (et les peuples qui vont avec) que nous promouvons étant les bandes-sonde de notre engagement en faveur d’une démocratie toujours à défendre et à enrichir comme des libertés de penser et de créer. « C’est lorsque la pauvreté, la détresse et le péril atteignent leur comble qu’explose l’utopie absolue », dit le philosophe slovène Slavoj Zizek.
Frank Tenaille
Président de Zone Franche
(1) Chaque année 400 millions de personnes franchissent légalement les frontières de Schengen et 17 millions de visas sont accordés aux pays tiers.
(2) Du 21 au 25 octobre se tient à Budapest, le Womex (The World Music Expo), salon-marché des musiques du monde. A cette occasion, au delà de la prise de position du Womex (contre toute violence faite aux réfugiés ; contre toute xénophobie ; favoriser la compréhension interculturelle), le réseau Zone Franche, en liaison avec ses amis européens, s’emploie à susciter une action collective solennelle des participants.