Le Réseau des musiques du monde

14-15 - « Adaptations aux nouveaux modèles économiques: droit d'auteur, droits voisins, édition »

Journée d’information dédiée aux adhérents de Zone Franche - Mardi 2 juin, la dynamo de banlieues bleues - Pantin

En présence de :

· FabriceAbsil & Anne Jacqueline de la société Absilone Technologies,
« Absilone représente les intérêts digitaux de nombreux labels, artistes et producteurs.La société a développé une expertise dans les domaines de la distribution digitale, du marketing digital en France & dans le monde; de l'édition musicale, de la gestion de droits voisins producteurs et artistes, de la gestion des bases de données et du community management... »

· Blick Bassy
Musicien, Camerounais d’origine, Blick est l’auteur de quatre disques majeurs dont « Ako »sont dernier album sorti en 2015. Blick Bassy se définit également comme un auto-entrepreneur qui suit beaucoup les actualités numériques afin de s’adapter aux nouveaux modèles émergents. Il manage aujourd’hui d’autres artistes camerounais afin des les accompagner dans leurs projets musicaux et professionnels.


L’arrivée d ’Internet dans le paysage musical a remis en cause beaucoup de connaissances juridiques nationales et internationales. Le flou qui a accompagné l’arrivée du téléchargement de morceaux musicaux a fait de l'artiste l’un des laissés pourcompte de la juridiction nationale. Les milieux musicaux ont réagi avec une posture défensive et ont eu beaucoup de mal à s’adapter à ce nouveau média. Cette période s’est traduite par une très grosse perte d’argent pour les producteurs, musiciens, etc. Les revenus ne ce sont pas évaporés mais ont profité à des grandes multinationales comme les GAFA (Google/Apple/Facebook/Amazon). Il revient aujourd’hui aux musiciens, aux producteurs, aux tourneurs et à tous les métiers de la filière musicale de s’adapter à ces nouveaux formats de pratiques des mélomanes. Il existe aujourd’hui des nouveaux moyens de percevoir des revenus de ces pratiques. Comme souvent il existe des disparités entre les grosses structures qui peuvent négocier des gros contrats avec ces nouveaux trusts de l’économie et puis les petites structures qui luttent comme elles le peuvent. Cette table ronde fait le point sur ces nouveaux revenus, sur la posture à adopter, ainsi que sur les nouvelles manières de se démarquer dans la« jungle » médiatique que représente Internet. Après une brève histoire des mutations du marché du disque, sont abordées les nouvelles solutions qui s’offrent aux acteurs du milieu musical afin de percevoir des revenus de leurs productions de contenus.

· Une concentration des revenus vers les majors.

Depuis 13 ans on assiste à ce que l’on appelle une « crise » du marché de la musique. On note que de 2002 à 2014 la baisse des revenus issus du marché de la musique est de 65%. De 1,3 milliards de dollars en 2002, nous sommes en 2014 à455 millions de dollars pour l’ensemble des revenus du marché musical mondial. La baisse de revenus spectaculaire à laquelle fait face le marché se répercute directement sur les emplois du milieu (baisse de 46% des emplois directs) mais également sur la diversité musicale. Ces bouleversements ont créé un effet de concentration, et aujourd’hui les principaux revenus de la filière proviennent des têtes d’affiches et de la musique dite « de masse ».

En2011, les 3 principales majors du disque (Universal/Sony Music/Warner Music) se partagent 72% du marché de l’édition phonographique. Elles sont en situation de quasi monopole et ont des sociétés annexes afin de gérer les droits que génèrent leurs immenses catalogues. Ces grandes majors appartiennent souvent à grands groupes d’investisseurs. Universal Music est détenu par Vivendi qui détient également SFR, Canal Plus, Digitick, etc. Ce sont les petits labels indépendants qui ont vécu de plein fouet la crise. On dénombre environ 1000 labels indépendants en France. Au sein de ces labels 67% ont des revenus annuels en dessous de 500 000 euros. Ces micro-labels font vivre l’émergence musicale mais leurs économies sont instables. Ces labels sont les garants de la diversité musicale et prennent des risques artistiques qui bénéficient directement aux grandes majors qui rachètent souvent les artistes dont le potentiel a su être exploité commercialement.

· La crise du marché physique.

Le marché du disque fut autrefois une grosse partie des revenus des labels, artistes, producteurs, etc. Ce modèle tend à disparaître en raison d’une évolution des pratiques, liées notamment à l’essor d’Internet. La baisse des ventes de disques, rapide et importante, a entraîné avec elle une baisse des revenus pour l’ensemble de la chaîne musicale : des artistes à la production en passant par la distribution. Les grands magasins alimentaires, autrefois les plus grands vendeurs de disques, n’en vendent plus et seuls lesFNAC continuent à avoir un catalogue important même si celui-ci diminue fortement. Les disquaires indépendants ont fermé leurs portes et on voit de manière très marginale ré-ouvrir quelques disquaires avec le retour des hausses de ventes du vinyle. Aujourd’hui le marché du Vinyle neuf représente 2% des ventes de musique. Internet se développe réellement dans les foyers à partir de2002 avec l’apparition du Haut-Débit. On note en 2005 une révolution : leWeb 2.0 ou Web interactif. Ces deux éléments historiques vont permettre une évolution des pratiques et notamment l'émergence du téléchargement et du partage de contenus. Un point essentiel qu’il faut retenir c’est qu’outre la baisse des revenus, le « consentement à payer » des consommateurs baisse. Dans l’imaginaire des utilisateurs d’internet le prix d’un disque (environ 15€)devient complètement irraisonné car ce contenu n’a aucune valeur sur internet et que la dématérialisation de la musique en fichier rend l’objet disque obsolète ; il ne s’agit plus aujourd’hui de posséder un disque mais d’être abonné à un flux. L’une des solutions qui a émergé tardivement fut le téléchargement légal. La plateforme Itunes de Apple est le leader en terme de catalogue et de nombre de téléchargement. Au départ cette solution fut la plus populaire mais depuis quelques temps les cartes sont redistribuées. Depuis 2006 et l’émergence de Deezer, le streaming légal offre une nouvelle alternative. L’économie de Deezer et Spotify (dès 2008) repose sur deux offres, l’une payante (Un standard de 9,99€/Mois) et une offre gratuite financée par la publicité. On note qu’en 2015, 2 millions d’utilisateurs français ont souscrit à une offre payante, cependant la moitié de ces abonnés le sont par « offre bundle », c’est à dire en complément de leur offre de téléphonie mobile. On note au total 7 millions d’utilisateurs des sites de streaming en France en 2014. Pour ce qui est de Youtube, service de streaming vidéo gratuit de Google, les chiffres ne sont pas annoncés clairement, mais l’entreprise met en avant 1 milliard de connexions mensuelles. Ce chiffre permet de juger de la popularité de ce média, cependant il ne permet pas d’apprécier la part des visionnages de musiques, vidéos musicales, etc. Youtube en procès régulier avec les sociétés d’ayants droits ne communique pas ses chiffres et donc la part de redistribution légale qu’il doit aux artistes, interprètes et producteurs reste floue. 


· Quelles redistributions des revenus ?

Il était facile de comprendre la distribution des revenus avec l’objet physique qu’est le disque. Cependant avec le téléchargement légal et le streaming, il devient beaucoup plus compliqué de savoir la part d’argent générée par écoute ou téléchargement.

À l’époque de sa création, I Tunes réussi le coup de force d’uniformiser les tarifs de la musique : 0,99€ le morceau, 9,99€ l’album. Concrètement ces tarifs ne permettent pas de distribuer de l’argent pour toute la chaîne musicale et I Tunes est une société en déficit tous les ans depuis sa création.Cependant le créneau de I Tunes n’est pas la vente d’album mais bien l’association de son service à la vente de produits manufacturés comme le IPhone, Le Mac Book ou encore le I Pad. De cette manière la production musicale participe à l’ « écosystème » que tente de mettre en place Apple. I Tunes achète les catalogues des grands et petits labels afin de proposer une grande diversité musicale. L’achat de catalogue et donc de bandes sonores se fait grâce aux accords négociés entre ITunes, les producteurs et les ayants-droits des contenus proposés. Sur un album à 9,99€, l’artiste perçoit, en fonction de sa notoriété, entre 0,24€ et 1,27€ ; le producteur entre2,73€ et 3,56€ ; enfin Apple reçoit environ 2,35€. Cela représente une réelle source de revenus cependant le nombre de téléchargements légaux diminuent au profit du streaming. En moyenne les français écoutent de la musique 12,22 heures par semaine en 2014, la part du streaming constitue aujourd’hui plus de 2h d’écoute. Le grand problème du streaming réside aujourd’hui dans le montant de la redistribution. En effet, Deezer annonce que pour les forfaits prémium le taux de redistribution était de 0,08 centimes d’euro. Pour un utilisateur utilisant le système d’écoute gratuit la redistribution descend à 0,0015€ pour un mois. Il faut noter que rares sont les utilisateurs à n’écouter qu’un album ou un morceau par mois et que ce montant est à soustraire entre toutes les écoutes de l’utilisateur pour un revenu quasi nul. À noter tout de même que Spotify annonce que 70% de ses revenus reviennent aux artistes, ayants droits, producteurs, ce qui n’est peut-être pas si loin de la vérité tant les catalogues se vendent cher auprès des majors et que la richesse d’un catalogue est absolument nécessaire pour un service de streaming comme Deezer ou Spotify. Finalement l’économie du streaming légal est très bancale et déficitaire, bien que celui-ci soit de plus en plus plébiscité. Elle n’assure pas un revenu assez important pour la chaine musicale. Pour donner un exemple, le plus gros volume d’écoute en 2014 est Stromae avec 37 millions d’écoute de l’album Racine Carrée, ce qui a générée 20 000€ à 30 000€ de droits. A côté du tarif de prestation d’un de ses concerts estimé autour des 65 000 €, le chiffre du streaming fait pâle figure.

· Quels modèles économiques pour la musique ?

Nous l’avons vu ce n’est pas tant la rémunération à l'écoute qui génère des revenus à la société de streaming, mais bien la vente du catalogue et des bandes sonores (ce qu’on appelle l’agrégation). Ils convient donc tout d’abord de s’assurer de la possession des droits sur la musique et de sa bonne gestion. Les bras de fer sont inégaux avec les sociétés de streaming et les gros majors ont souvent les contrats les plus importants. En France, il existe tout de même des sociétés civiles qui gèrent la redistribution des droits d’auteurs et des droits voisins en lien direct avec la loi Lang 1985.

Figure 1 : Source Spré.

La Loi Lang 1985 :

Loi n° 85-660 du 3 juillet 1985relative aux droits d'auteur et aux droits des artistes-interprètes, desproducteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises decommunication audiovisuelle. La « loi Lang » dit des « droits voisins du droitd’auteur » ou « Licence légale » se compose de deux mécanismesprincipaux : la rémunération équitable et la rémunération pour copieprivée.
La rémunération équitable : « La rémunération équitable est prélevée auprès des diffuseurs d’enregistrements à des fins de commerce : radios, télévisions, discothèques et lieux publics sonorisés, qui, en contrepartie, n’ont pas à demander d’autorisation de diffusion. Cette rémunération est collectée par la Spré, qui la répartit aux sociétés civiles d’interprètes (Adami et Spedidam) et de producteurs phonographiques (SCPP etSPPF). »[[1]](#_ftn1)

Rémunération pour copie privée :« la rémunération pour copie privée est une redevance prélevée sur la vente de supports vierges et de matériel servant à copier de la musique et des images. Elle est collectée par Copie France, qui la répartit ensuite entre les sociétés civiles. Les auteurs-compositeurs et les éditeurs en sont également bénéficiaires.

Pour percevoir ses droits voisins, un producteur doit adhérer à une société civile. Il en existe deux : la SCPP et la SPPF. Par cette adhésion, le producteur donne mandat à celle-ci pour percevoir et redistribuer ses droits voisins.”[[2]](#_ftn2)

Pour aller plus loin : [1]http://www.irma.asso.fr/LES-DROITS-VOISINS-DES-PRODUCTEURS

Dans tout ce maillage d’entreprises et de sociétés d’influences, il ne faut pas oublier que le droit se joue aujourd’hui à échelle internationale et que les pratiques d’Internet n’ont pas forcement d’origine géographique précise. La législation sur les droits voisins, qui génèrent aujourd’hui une grande part des revenus distribués tend à évoluer régulièrement. De ce point de vue, les Français sont souvent perçus à l’étranger comme des personnes attachées à leurs droits d’auteur et donc des clients peu malléables. L’agrégation liée au streaming évolue également beaucoup, les formats numériques évoluent, les qualités sonores différentes en fonction des médias et les contrats avec les artistes peuvent être très inégaux. Éthiquement les contrats de redistribution à 50%/50% sont donc bien vus par la profession et permettent aux artistes, producteurs et gestionnaires de droits de s’en sortir dans leurs investissements mutuels. Être présent sur Internet reste tout de même essentiel et même si les revenus sont faibles pour les artistes à faible notoriété, il permet une visibilité importante.

· Des revenus indirects ?

Internet est une vitrine. L’un des idéaux prônés à la création d’internet était d’ailleurs la neutralité et l’accès égal à tous types d’informations. Aujourd’hui les algorithmes de Google, Facebook ainsi que les recommandations de Amazon par exemple sont soumis à des déterminismes d’ordre économiques et publicitaires. Plus on a de capital, plus on a de possibilité de visibilité sur le réseau internet. Cependant le libre arbitre et l’intérêt des mélomanes n’est pas mort pour autant et internet a permis la création de nombreux sites d’informations indépendants (blogs, sites d’artistes, etc.) ainsi que des annexes des journaux papiers. Aujourd’hui tous les groupes de musique possèdent leur page Facebook, leur compte Twitter, leur portfolio Instagram, etc. Aujourd’hui pour un musicien, avoir sa musique surYoutube, Soundcloud, Deezer et Spotify est un atout de communication indispensable. Ces médias permettent la découverte pour les publics et la création d’une identité pour les musiciens. Si aujourd’hui le spectacle vivant assure encore des revenus décents pour les acteurs de la musique, il est donc important de bien communiquer sur ces événements via les médias d’internet. La posture défensive n’a pas beaucoup réussi aux milieux musicaux, et le téléchargement illégal rattrape souvent ceux qui n’ont pas voulu mettre à disposition leurs musiques sur Internet. La vente de disques n’est pas complètement finie et beaucoup sont vendus encore à la sortie des concerts. Ces disques sont d’ailleurs soumis à la TVA qui n’est que rarement appliquée parles vendeurs. Il y a encore un attachement à l’objet chez certains mélomanes. Cette fidélité au format physique explique en partie le retour du disque vinyle dans les ventes. Les barrières entre les métiers autrefois sectorisés tendent à se briser et le musicien 2.0 se caractérise par ce statut d’auto-entrepreneur. Les musiciens assurent aujourd’hui leur communication via les réseaux sociaux, se créent un site web personnalisé et reflet de l’identité qu’ils veulent créer et développer lors de leurs concerts où leur communauté se retrouve pour discuter des nouveautés de l’artiste. Le marché du merchandising marche toujours et internet à d’ailleurs eu tendance à renouveler les pratiques de Fan Art, de Mash-up, de forum de fans, de site de fans etc. Le Fanzine sous une nouvelle forme et avec une possibilité d’appropriation de plus en plus grande.Aujourd’hui certaines pages youtube comptent plus de 80 000 000 d’abonnés et ont une influence qui dépasse les frontières géographiques et médiatiques.

Aujourd’hui les nouvelles applications, logiciels, objets, services fleurissent de manière très rapide et il est bon de se tenir informé des nouveautés numériques afin de s’adapter, sinon d’anticiper, les nouvelles pratiques de demain. En moins de 15 ans Internet a bousculé beaucoup de conventions autrefois admises par les milieux musicaux quant à la gestion des carrières de musiciens. Aujourd’hui beaucoup de cartes ont été redistribuées et l’économie ne s’est pas volatilisée mais elle s’est déplacée vers d’autres acteurs. La musique est une forme artistique de plus en plus populaire et occupe de plus en plus de temps dans la vie des individus, il n’y a donc pas de fatalité en soi. Cependant, il convient de prendre en compte tous ces éléments afin de faire perdurer la diversité qui est la nôtre et que le réseau Zone Franche tente de mettre en avant. À l’heure où les grands trusts de l’économie musicale et d’internet parafent de gros contrats, il convient de résister à notre échelle en surfant sur les possibilités qu’offre internet et cela de manière éthique comme cela a toujours été dans nos professions. Offrir dans de bonnes conditions une diversité musicale de plus en plus importante à un public et ce dans les meilleures conditions est encore un idéal atteignable. À l’heure des réseaux sociaux les publics semblent de plus en plus proches et les concerts permettent aussi d’entretenir ce rapport fort avec eux. Il faut conserver cette éthique et ce rôle politique au sein de nos professions et donc de régulièrement débattre et travailler avec les société civiles, les producteurs, les ayants-droits, les musiciens, les tourneurs, les festivals, les salles de concerts et tous les membres de nos réseaux de manière éthique et responsable.

[[1]](#_ftnref1) http://www.irma.asso.fr/LES-DROITS-VOISINS-DES-PRODUCTEURS

[[2]](#_ftnref2) http://www.irma.asso.fr/LES-DROITS-VOISINS-DES-PRODUCTEURS