Le Réseau des musiques du monde

14-15 - « Jazz et musiques du monde : One love ? »

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Table ronde organisée lors de la Rencontre Réseau du 8 avril
en partenariat avec le festival Banlieues Bleues

Synthèse des échanges

L’un des premiers points retenu fut la réflexion autour des conditions de la rencontre en Jazz et Musiques du monde. De fait, ces conditions ont évolué au cours de l’histoire,et la nécessité de rendre compte de cette histoire et d’en témoigner s’est présentée comme une perspective incontournable de cette table ronde.

L’histoire de la fusion entre World Music et Jazz est intrinsèquement liée à l’un des lieux de la rencontre musicale : les « jam sessions ». Les « Jam Sessions », abordées sous l’angle des « Shebeen » anglais et des clubs français, ont à travers l’histoire joué le rôle de medium de la création d’une “autre musique”. Le métissage des musiques doit être vu avec le prisme de l’histoire du « mélange » des approches musicale et donc de la migration des musiciens. Au cours de l’histoire, c’est autour du développement de ces migrations humaines que s’est constituée la source des rencontres d’instruments,de pratiques, et de styles différents. Autour de la table, beaucoup de musiciens ont évoqué des anecdotes issues de leurs propres expériences de« jam sessions ». Ces « jam sessions » ont été le lieu de rencontres privilégiées de musiciens, américains par exemple, avec d’autres musiciens issu de l’immigration. Cependant ces « jam sessions » son tégalement le lieu de confrontation et de représentation de l’autre. Il existe des standards, des normes musicales, notamment issue des parcours, ou études,des différents musiciens et qui peuvent contraindre la mise en place d’un« réel » dialogue musical. Malgré cela, la jam session semble être un point de rencontre essentiel et un lieu de métissage incontournable pour l’expression musicale. Enfin, plus qu’une simple confrontation, les intervenants ont souligné que la jam ou le fait de « taper le boeuf » était souvent le lieu de l’apprentissage de l’écoute de l’autre. En effet, selon l’idée quel a « jam session » représente plus des moments de vies que des simples laboratoires musicaux.

Aborder la question de la fusion des musiques c’est également se confronter aux normes de représentation de l’autre. Á l’image de la question migratoire et des controverses autour du terme de « musiques du monde », l’essentialisation d’une culture, ou d’une esthétique particulière semble encore aujourd’hui une pratique commune. Afin d’éviter d’éventuels amalgames, il semble nécessaire de retracer l’histoire des musiques à partir d’individualités et non de styles musicaux ou d’origines ethniques. Comme le soulignait si justement Duke Ellington :« L’histoire du jazz est une suite de noms et non de catégories ».Aujourd’hui, le jazz est métissé, notamment car la musique et les musiciens semblent de plus en plus s’émanciper de ses standards. Ces frontières entre les genres sont poreuses, et lorsque l’on se concentre sur le parcours d’un musicien, on se rend compte de la diversité des influences qui maille son identité musicale propre.

Malgré cela, les catégories « Jazz » et « musiques du monde » sont encore présentes et l’ont fait toujours face à des soucis d’appréhensions qui sont souvent institutionnalisés. Les festivals thématiques ont pignons sur rue,même si leur appellation rigide masque souvent une réelle diversité de programmation et d’esthétiques. Cependant il existe toujours le risque pour les formations musicales de se retrouver dans un « entre-deux » où se faire programmer se révèle complexe. Cet « entre-deux » serait celui d’une musique difficilement définissable, creuset d’une multitude d’influences, et qui ne saurait pas trouver sa place au sein des catégories « Jazz »,« Musique du monde », etc. Ces genres apparaissent souvent figés à l’écrit et les critiques musicaux ainsi que les journalistes semblent manquer de mots pour témoigner des fusions musicales à l’œuvre aujourd’hui. Pour un musicien il est encore aujourd’hui nécessaire de se situer stylistiquement à l’heure de présenter son projet à une institution, à un festival, ou encore à un journal.

Le spectateur ou l’auditeur détient comme souvent les réponses à ces controverses qui animent les milieux professionnels. D’autant que la posture d’écoute semble encore aujourd’hui révélateur d’un clivage : le jazz s’écoute assis, les musiques du monde se dansent. Encore une fois, l’histoire vient nuancer cette affirmation en rappelant les origines chorégraphiques des pas de danse issus duj azz. Ces « barrières » contraignent la créativité qui pourtant basson plein depuis que les catégories « Jazz » et « Musiques du monde » tendent à se fusionner esthétiquement. Le spectateur est le seul juge, le seul maître de ce qu’il écoute et il est partie prenante du dialogue musical. Á nous professionnels de « créer des passerelles » afin d’accompagner une meilleure mixité au sein des propositions artistiques et de ne pas hésiter à faire preuve de volontarisme dans l’entreprise d’une histoire des musiques plurielles et affranchies des normes sociales qui les tissent.

Sarala, une rencontre à la croisée des cultures :

Hank Jones meets Cheick Tidiane Seck and the mandinkas – Sarala
Gitanes Jazz Productions ‎– 528 783-2,Verve Records ‎– 528

L’histoire de Sarala est celle d’une recherche identitaire. En 1995 Hank Jones, musicien accompli, comptant pas moins de 800 albums en tant que soliste ou accompagnateur, émet le souhait de vouloir approfondir « les sonorités africaines ». Il contacte le producteur français Jean-Philippe Allard (Universal) et lui décrit ses motivations pour ce projet. Graham Haynes interrogé par Jean-Philippe Allard lui fait part du sérieux et de la créativité de Cheick Tidiane Seck avec qui il a composé l’album The griots Footsteps en 1994. D'abord contacté pour trouver des musiciens pouvant composer, le temps d’un album, autour des musiques africaines, Cheick Tidiane rejoint Hank à Paris. Alors qu'ils échangent autour du projet lors d'un entretien, Hank demande à Cheick de jouer quelques gammes sur le piano à queue de l’hôtel. Accord mineur/majeur de la main gauche, solo mandingue de la main droite. Le son émis par les touches du piano « électrifie »Hank Jones qui décide alors de s’associer à Cheick pour la création de l’album. Il lui demande également de former un « big band » avec la crème des musiciens mandingues et prend le parti d’utiliser des instruments traditionnels comme la calebasse ou le doudoumba pour composer la section rythmique. Les deux musiciens vont travailler à distance pendant huit mois, s’envoyant des idées par courrier et s’entraînant chacun de leur côté à s’adapter à la technique de l’autre. De retour en France, Hank Jones rencontre les Mandinkas, une composition de musiciens formés autour de Cheick Tidiane, puis entre en studio. Tous les musiciens sont enjoués face à ce « vieux monsieur » du jazz en costume cravate qui accompagne ses accords aux sonorités blues de variations d’inspiration mandingue. L’album s’enregistre rapidement sous la direction de Daniel Richard missionné par Jean-Philippe Allard.

À sa sortie l’album divise les critiques mais se révèle un tour de force reconnu par tous. Le projet fera date comme une pierre angulaire essentielle des rencontres entre le Jazz et les musiques traditionnelles ouest-africaines. Pour Cheick Tidiane, sa capacité à s’adapter au son de Hank Jones sera reconnue etil travaillera plus tard avec Dee Dee Bridgewater, développant ainsi des « passerelles »entre les sonorités et les approches musicales. De son côté, Hank Jones fascine par sa capacité de maîtrise de la technicité mandingue, et ajoute ce disque à une carrière déjà remplie. Les deux musiciens se retrouveront plus tard pourune courte tournée où ils joueront les morceaux du disque, notamment face au public de Jazz à Vienne, où le groupe sera ovationné pour sa prestation.

_Sarala_fait partie de ces disques à la croisée des sonorités, à la croisée des parcours de différents musiciens. Hank Jones dira à Cheick qu’il voulait via ce projet se rapprocher de ses origines nigériennes, et plus particulièrement d’Ogan dont il pense être originaire. Sarala est encore aujourd’hui considérée comme un disque majeur, un essentiel des fusions possible entre jazz et musiques du monde.

En présence de :
Kévin Legendre, journaliste spécialisé Jazz et musiques du monde pour BBC Music et The Independent à Londres.
Brice Ahounou, anthropologue,Historien, Journaliste, il est notamment le responsable des « mercredi du film ethnographique » au Musée de l’immigration.
Naïssam Jalal, flûtiste française née de parents syriens, elle a tout d’abord appris l’instrument au conservatoire puis a étudié en Egypte et en Syrie. Elle défend l’idée d’une musique libre et nomade avec son groupe Naissam Jalal & the Rhythms of Resistance.
Cheick Amadou Tidiane Seck, aux confluences de trois continents, l’Afrique, L’Europe et l’Amérique, il a collaboré avec toute la scène malienne d’hier et d’aujourd’hui, ainsi que la crème de la scène afroparisienne. Il a collaboré également avec des Jazzmen importants comme Hank Jones, Ornette Coleman et Dee Dee Bridgewater pour ne citer qu’eux.
Sonny Troupé, percussionniste guadeloupéen de Tambour Ka et batteur de Jazz. Il a récemment enregistré l’album « voyages et rêves » avec son quartet où le souhait est de présenter un regard sur la musique guadeloupéenne actuelle.
Modératrice : Eglantine Chabasseur, journaliste.