14-15 - « Musique et luttes : l’exemple des cultures urbaines aujourd’hui »
Mercredi 8 octobre - Petit bain - Paris 13
Présentation des invités par Lola Simonet :
Monza (Mauritanie), auteur,compositeur, producteur, manager général chez ZAZA Production, directeur dufestival ASSALAMALEKOUM, Président de LA RUE PUBLIK, Président du réseau desacteurs opérationnels culturels de Mauritanie. Amadou Fall Ba (Sénégal), directeur général du Festa2H(festival international de Hip-Hop et de cultures urbaines), fondateur del’association AFRICULTURBAN et du centre de formation Léopold Sédar Senghorà Dakar.
En liaison Internet de Douala : Sadrak (Cameroun), membre fondateur en 1995 du groupe de Hip-HopNEGRISSIM avec les frères Sassene. Spido (Cameroun),artiste Hip-Hop, ayant collaboré avec Jovi, Sadrak entre autres, auteur du« Kwata style ».
(NB : en PJ une communication complémentaire de Marta Amico sur le rap au Mali)
Lola Simonet
Nous parlerons de la culture Hip-Hop, sachantque celle-ci englobe plusieurs arts de rue (Rap, Slam, Graffiti, Djing,Breakdance).
Éléments de contextualisation :
· Années 1970 : naissance du Rap aux États-Unis, avec leSpoken World. Rapidement, ces groupes new-yorkais sont porteurs d’une revendicationidentitaire et sont les premiers à utiliser le mot « nigger », termeraciste utilisé par les blancs aux États-Unis.
· Années 1980 : développement de l’ensemble des autres artsde la culture Hip-Hop.
· Depuis 20 ans : ces arts se retrouvent dans le mondede la culture Hip-Hop et ont aujourd’hui envahi l’ensemble des continents.
· Depuis fin 1980/début 1990 :
o développementdu phénomène urbain en Afrique, avec l’appropriation par la jeunesse descontestations identitaires des États-Unis, jeunesse très réceptive à cesmusiques porteuses de révoltes politiques et de dénonciation d’injustices (1988 :première année « blanche » des étudiants sénégalais, annéemarquante pour toute une génération de jeunes ; 1989/1990 : mise enplace d’un raciste d’État en Mauritanie (répressions et déportations desNégros-Mauritaniens) ;
o époque despremières politiques d’ajustements structurels (privatisation des sociétésnationales d’eau et d’électricité), ce qui aura des conséquences néfastes surl’économie des populations ;
o naissance d’unlibéralisme politique, avec l’avènement du multipartisme au Togo.
Je vous proposed’évoquer l’historique de la naissance de la culture Hip-Hop et la manière dontelle a épousé les revendications de la jeunesse dont vous êtes issus, dans chacunde vos pays.
Amadou Fal l Ba
Concernantl’histoire de la naissance du Hip-Hop au Sénégal, je pense qu’il faut remonteravant les années 1990. Le Hip-Hop, aux États-Unis comme en France, vienttoujours des quartiers difficiles (ghettos, etc.), mais chez nous, c’est lecontraire. En effet, le Hip-Hop a commencé dans les classes moyennes, la petitebourgeoisie sénégalaise étant la seule à avoir accès aux médias (vidéo, télévisions,etc.). Il a démarré avec la danse (par imitation) et non par le Rap. Ensuite,le Rap a évolué.
Lola Simonet
Pourrais-tuexpliquer ce qu’est le mouvement Set Setal ?
Amadou Fal l Ba
Il s’agissaitd’initiatives citoyennes, sans l’apport des autorités, consistant à embellirles quartiers au vu d’un meilleur cadre de vie. À partir de ce moment-là, lesgens se sont mis à danser dans les quartiers, de manière non professionnelle,uniquement pour le « fun », notion que l’on retrouve dans laphilosophie Hip-Hop.
Je souhaiteraisévoquer les élections présidentielles de l’année 1988 (notre « mai 68 »),lesquelles ont donné lieu à de nombreuses manifestations paralysant l’économiedu pays, ainsi que l’école. Avec ce mouvement, les gens se sont donc retrouvésdans la rue, sans travail, sans école. Ils avaient du temps pour se consacrer àla musique et à l’écriture, avec des thématiques de révoltes évidentes. (Parailleurs, les anciens rappeurs, issus des lycées ou des universités, avaient unniveau d’études assez poussé.) Cependant, lemimétisme vis-à-vis du Rap français et américain a quelque peu perduré.
Puis, s’étantremémoré l’échec du mouvement reggae au Sénégal des années 1980, le Hip-Hop achangé deux choses radicales :
- l’appropriation de la langue locale wolof constitutive del’identité culturelle (disparition des textes en anglais ou en français) ;
- le contenu des textes s’inscrit dans les questions sociales sénégalaises(pauvreté, prostitution, problèmes de gouvernance, etc.).
ConnexionInternet avec Spido et Sadrak.
Lola Simonet
Pourriez-vous évoquer le contexte danslequel est né le Rap au Cameroun ?
Spido
Le Rap est né au Cameroun dans lesannées 1990. Puis, nous avons découvert des groupes français comme NTN.
Sadrak
Moi, j’aidécouvert le Rap exactement comme l’a décrit Amadou Fal l Ba. (...) (son peu audible, 22 : 35).Nous avons commencé avec la danse dans les rues. (...) (son peu audible, 22 : 54) Au fur et à mesure, nous avons prisconscience qu’il s’agissait d’un mode d’expression.
Spido
Pour beaucoupd’entre nous, ce début du Hip-Hop correspond également à la découverte de la« vie dehors », c’est-à-dire à l’entrée dans la vie active. (Suite peu audible, 24 : 41)
Lola Simonet donnela parole à Monza.
Monza
Comme l’a ditAmadou, l’historique du Rap en Afrique en l’ouest est similaire partout. Eneffet, cela a commencé également par la danse en Mauritanie dans les années 1988,par une certaine appropriation et une certaine fierté d’avoir des Africains faisantdu Rap. De plus, les groupes sénégalais comme Positive Black Soul ont fortementinfluencé les jeunes mauritaniens, contrairement aux sénégaliens marqués parl’influence du Rap français ou américain.
Puis, au fildes années, entre 1988 et 1995, les événements de 1989 ontmarginalisé les Afro-Mauritaniens et une importante population mauritanienne aété décimée ou déportée vers le Sénégal. Cette situation a créé certainesfrustrations et révoltes, et, à travers le Rap, la danse ou les graffitis,certains jeunes ont commencé à se révolter contre ce qui se produisait. Puis,un mouvement est né à partir d’un quartier appelé « la Medina 3 »,puis s’est répandu dans les quartiers périphériques. Je dirais donc que le Rapmauritanien est né à cause du mal-être d’une certaine génération, dans uncontexte différent de celui du Sénégal.
En effet, laMauritanie comporte quatre communautés – arabo-berbère, Maures, Peuls, Wolof –toutes ancrées dans des préceptes traditionnels et conservateurs, où l’artisteest considéré comme un paria, le vrai artiste étant le griot. Il existait doncun problème de caste et d’égalité du citoyen. Depuis l’indépendance, laMauritanie est un pays qui a traversé des coups d’État, avec le rétablissementde la charia, et c’est à partir de 1991 qu’a été proclamée une politiquedémocratique. Pour moi, l’ensemble de cette situation a été un véritablevecteur de justification du combat suivant : nous sommes dans un pays,nous avons des droits, l’État ne fait rien pour les jeunes, dont beaucoup nevont pas à l’école. Il fallait donc s’organiser et se prendre en main. C’est cequi justifie le Rap en Mauritanie.
Lola Simonet
Spido etSadrak, vous disiez que, dans un premier temps, la culture Hip-Hop n’était pasaussi politique chez vous. À quel moment l’est-elle devenue (rapport entre leRap et la jeunesse, l’identité de quartier) ?
Sadrak
L’entrée du Rapdans nos vies est synonyme de fête (danse, amitié, découverte du dehors…). Puis,en même temps, il y avait des groupes comme (...) (33 : 05) qui m’étonnaient par leur mode d’expression, mais ils’agissait d’une résonnance encore naïve. Cependant, cela a beaucoup changédepuis. À mon retour de dix ans d’exil, j’ai trouvé le Cameroun un peu frustré,et j’ai rencontré des gens comme Spido qui exprimaient cette frustration. AuCameroun, notre Rap s’est radicalisé petit à petit vis-à-vis d’un systèmeopprimant.
Lola Simonet
La cultureHip-Hop a dû s’imposer dans vos pays, il a fallu que vous la valorisiez parrapport à l’image très négative du gars des ghettos.
Sadrak
Oui, nous nousbattons chaque jour pour valoriser l’image du gars des ghettos.
Lola Simonet
Nous avonsparlé du Rap contestataire, du Rap des revendications sociales et de lajeunesse. J’aimerais que nous parlions aussi du Rap d’action et d’éducation,dont Monza et Amadou sont représentatifs. En effet, vous avez organisé desfestivals et avez créé un centre de formation et d’éducation. Pourriez-vousnous en parler ?
Monza
La contestationa duré sur toute la période d’adolescence, à un moment où nous nous rendionscompte que nos États ne faisaient rien vis-à-vis de la culture, laquelle doitappartenir à tout le monde. Aujourd’hui, au-delà du fait d’être Mauritaniens, noussommes Africains. Nous représentons une certaine identité, une certaineempreinte culturelle que nous souhaitons partager avec le monde. Si nousarrivons à ce stade où l’État ne fait rien pour nous, la question est lasuivante : devons-nous toujours attendre et continuer à nous plaindre oudevons-nous envisager de trouver des alternatives ? Pour le Sénégal et laMauritanie, je pense que c’est ce qu’il s’est passé. Nous avons cherchél’alternative, laquelle était « faire », sans attendre l’État, afind’insuffler une certaine dynamique dans nos pays, pour que les jeunes prennentconscience qu’il est possible de s’assumer. En Mauritanie est arrivé le momentoù nous avons pris conscience que ne pas réagir face aux injustices était endevenir complice. L’artiste n’ayant pas de statut en Mauritanie, nous avonsdonc créé des structures de production afin d’être indépendants, desensibiliser la jeunesse et de se faire entendre par l’État. C’est ce qu’il s’estpassé en 2005, avec la création de ZAZA Production, puis avec lefestival ASSALAMALEKOUM. Il ne s’agit pas de faire uniquement des concerts,mais de développer un pôle d’excellence de transmission de savoir-faire.
Lola Simonet
As-tu suivi desformations pour devenir entrepreneur de spectacles et d’événements ?
Monza
La démarche aété d’aller chercher le savoir afin de le transmettre à un maximum de gens,afin que l’on puisse multiplier ces initiatives. Il ne s’agit pas que de Rap enMauritanie : il s’agit d’aller vers une globalisation et une circulationdes artistes.
Lola Simonet
Amadou, sur lepassage du Rap contestataire au Rap d’action, tu es devenu entrepreneur, encréant une association.
Amadou Fal l Ba
Oui, mais n’étantpas artiste, je me définis comme un activiste. Il est essentiel de contester etla lutte doit être poursuivie. De plus, dans le Hip-Hop, nous oublions souventqu’il s’agit d’un mouvement où l’on ne demande pas la parole : on la prendpour dire quelque chose. Le Hip-Hop signifie quelque chose chez moi. Danschaque quartier, il y a un groupe de Rap. Mais, je travaille dans la plusgrande ville du pays (plus de 5 millions d’habitants) où il n’existe pasd’universités, et où, paradoxalement, se trouvent les meilleurs lycées du pays.Nous créons donc des formations de haute qualité pour les gens issus desquartiers difficiles, ce qui leur permet de découvrir les claviers, les PC,etc.
Lola Simonet
Pourriez-vous nous parler du manque desalles à Douala. Dans quelles conditions travaillez-vous ?
Sadrak
Les conditions dans lesquelles nousproduisons nos sons sont déplorables. Nous nous battons comme nous le pouvonspour créer un bon son. Il n’existe aucun producteur, ni structure, ni scène. AuCameroun, l’artiste n’a aucun statut, mais nous nous battons quotidiennement pourcréer des chansons, sans l’aide de personne, avec les moyens dont nousdisposons.
Lola Simonet
Vous évoquiez la circulation des artistesentre la Mauritanie et le Sénégal, et vous les faites tourner dans vosfestivals respectifs. Comment dynamisez-vous les circuits de circulationinternationaux ? Existe-t-il des passerelles avec l’Europe ? Dequelle manière ces artistes du Hip-Hop sont-ils soutenus ?
Amadou Fal l Ba
Je pense que lesoutien aux artistes passe par les réseaux, mais que ceux-ci doivent êtrenourris de discussions, d’échanges. Le Hip-Hop c’est la solidarité. Ce pontentre le Sénégal et la Mauritanie existe depuis 2009. Aujourd’hui, noustravaillons également beaucoup sur des festivals avec le Maroc. De plus, nousavons monté un projet d’artistes par pays. Par exemple, avec la Mauritanie, laGambie et la Guinée-Bissau, il s’agit de positions très radicales au niveau dela programmation. En effet, ces pays étant dénués de liberté d’expression, lesartistes n’ont pas accès à la plateforme artistique, et, vivant dans un paysplus démocratique qu’eux, nous agissons par solidarité. Nous avons égalementdes projets avec le Soudan et la Tunisie. Nous sommes donc très ouverts, etvoulons montrer au public sénégalais ce qu’il se passe ailleurs.
Lola Simonetdonne la parole à Monza sur la circulation des artistes.
Monza
Par rapport à la coopération entreles festivals, nous nous sommes rencontrés en 2009 à Ouagadougou, où l’idée estnée de créer un réseau de festivals. Avec Festa2H, la coopération est naturelledu fait de la proximité entre le Sénégal et la Mauritanie. En raison de lapolitique, la situation est plus compliquée, mais grâce à Festa2H, nous avonseu des programmations d’artistes sénégalais de 2009 à aujourd’hui. Nous faisonségalement une programmation mauritanienne, et organisons de nombreux projetscommuns de résidence. À travers le réseau africain de festivals de musiques,notre idée étant d’institutionnaliser le Hip-Hop par la création d’un lieu oùil deviendrait un enseignement, nous avons partagé deux projets :
· Dakar : projet de formation de trois jeunes sénégalais,trois jeunes mauritaniens et trois jeunes nigériens (porté par Amadou).
· Mauritanie : mise en place du même processus.
Avec leFesta2H, nous sommes dans une optique de « copier, créer »,c’est-à-dire que nous optimisons et que nous adaptons les faisabilités dans lesdeux pays. De plus, selon ce principe d’alignement, Festa2H a également créé untremplin de façon à mettre en place un vrai pont entre le Maroc, la Mauritanie,le Sénégal, la Guinée-Bissau, la France et peut-être les Pays-Bas qui ont aussiun tremplin. Pour l’année prochaine, nous allons également essayer d’organiser unetournée.
Lola Simonet donne la parole à Sadrak et Spido sur lacirculation des artistes.
Spido
Au Cameroun,les artistes circulent de plus en plus. Par ailleurs, j’ai constaté denombreuses difficultés de communication entre les Camerounais, et à cet égard,la langue française est pour nous une magnifique plateforme. Dans noscompositions, il nous appartient de retenir l’attention de nos politiques afinque ceux-ci se rendent compte que nous proposons, tous ensemble, un monde avecbeaucoup plus de facilité à aller vers les choses que nous aimons, telles quela nature, les belles rencontres, la propreté des rues, etc. Car les artistescirculent dans la saleté. Toutes ces actions menées ensemble, toutes cesvisions partagées sont en cours. Le modèle de liberté que je propose à tous estla musique, car elle voyage hors frontières et brise les barrières.
Lola Simonet
Les artistesvoyagent moins facilement que la musique.
Spido
Oui, mais jepense que, grâce aux divers échanges, nous pourrons trouver une solution à ceproblème de blocus.
Échanges avec la salle.
Projection d’un documentaire sur l’histoire de Monza et du festival ASSALAMALEKOUM.