Le Réseau des musiques du monde

14-15 - « Réforme territoriale : quelles opportunités pour les musiques traditionnelles et du monde ? »

Table ronde organisée dans le cadre de babel med music 2015, en partenariat avec la famdt

Vendredi 27 Mars 2015 à 10h00
à Marseille – Dock des suds

En présence de :
Emmanuel Négrier : directeur de recherche CNRS en science politique au CEPEL, Centre d’Etudes Politiques de l’Europe Latine, à l’Université de Montpellier I, Rédacteur en chef de Pôle Sud, revue de sciences politiques 1989 ; Médaille de bronze CNRS 1999 ; HDR 2003.
Nicolas Cardou : après une formation et une recherche universitaire en histoire et histoire de l’art, Nicolas Cardou est titulaire en2002 d’un DESS « développement culturel de la ville » à l’Université de La Rochelle. Il participe à l’organisation d’initiatives artistiques dans l’agglomération nantaise et à une mission longue de l’AFAA au Soudan. Il est notamment l’administrateur de la fédération nationale des associations de directeurs d’affaires culturelles.
Marie-Christine Blandin : écologiste, Sénatrice du Nord(élue en 2001 puis 2011) et ex-présidente de la région Nord Pas-de-Calais (1992-1998). Au sénat elle siège au sein de la commission de la Culture, de l’Education et de la Communication, qu’elle a présidée de 2011 à 2014, ainsi qu’a l’OPECST (Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques etTechnologiques). Elle est impliquée pour la reconnaissance de la diversité culturelle et des droits culturels, ainsi que pour la promotion de la culture scientifique.
Anne Quentin : auteure, critique dramatique (Cahiers de la comédie française, CNDP, Stradda), journaliste spécialisée dans les politiques culturelles au journal La Scène, elle est aussi membre de la commission Beaumarchais (SACD) pour les aides à l’écriture « cirque » et expert « théâtre » pour la DRAC Ile-de-France.

La “commission pour la libération de la croissance française », engagée par Nicolas Sarkozy en 2008 et dirigée par Jacques Attali est considérée comme le principal terreau sur lequel s’est construit la réforme territoriale deFrançois Hollande. L’idée mise en avant par cette commission est« d’engager une simplification de l’organisation territoriale ». Ce rapport et la réforme qui s’en suit a pour ambition de faire des économies dans les frais de gestion administratifs et politiques de ce que l’on appelle communément le mille-feuille territorial. L’organisation politique française se caractérise par la décentralisation de certaines compétences politiques et juridique qui s’exerce à différents échelons territoriaux. Cette stratification du pouvoir a une réalité physique : 36 783 communes, 100départements, 26 régions et plus de 2 580 EPCI (Etablissement Public deCoopération Intercommunale). Ces « collectivités territoriales »possèdent leurs propres budgets, employés, compétences, influences, etc. Les propositions qui ont émergé dans les débats parlementaires suite à la publication du rapport « Attali » sont l’affirmation du pouvoir desEPCI et des Régions via notamment l’agrandissement de leurs territoires d’action mais également à terme la suppression d’une couche du mille-feuille : les départements. Selon le rapport il existe des chevauchements de compétences qui font perdre de l’argent à l’État. La suppression des départements est redoutée par certaines personnalités politiques pour qui les compétences sociales et éducatives du Conseil Général ne peuvent être transférées : entretien et création des collèges, prestations sociales, etc.

Peu de réformes vont arriver à terme sous le mandat présidentiel de Nicolas Sarkozy. Seule la réduction de la durée des mandats des conseillers régionaux et généraux à 4 ans (6 ans avant la réforme) et la création du conseiller territorial vont être votées à l’assemblée. L’arrivée au pouvoir du parti socialiste de François Hollande va vite abroger la loi sur la création des conseillers territoriaux. L’argumentaire de François Hollande met en avant deux points : le fait que ce nouveau statut censé réduire les effectifs encourage le cumul des mandats et que ces mandats ne sont pas soumis au suffrage universel. Cependant les principales recommandations du « rapport Attali » vont être conservées et le gouvernement de Manuel Valls va relancer le chantier autour de la réforme territoriale. Trois lois sont votées par l’assemblée :

  • La loi pour la modernisation publique et des métropoles.
  • La loi qui a crée la fusion des 22 régions en 13.
  • La loi NOTRe qui organise la nouvelle répartition des compétences.

Nous entrerons plus dans le détail dans ces lois par la suite, cependant on peut tout de même relever des orientations qui sont l’affirmation des métropoles, des EPCI et des Régions aux dépens des compétences départementales. Beaucoup d’éléments sont encore en débat et il est encore compliqué de s’y retrouver. Le fait est que les budgets diminuent drastiquement et que les opérateurs culturels semblent les parents pauvres des ces coupes budgétaires. Les conférences territoriales de l’action publique semblent l’un des seuls horizons positifs qui émerge de ces réformes et pourrait permettre aux acteurs culturels d’avoir un pouvoir de décision dans des assemblées locales.Encore une fois beaucoup d’analystes voient dans ces réformes de simples ajustements et des discussions parlementaires qui ne sont qu’un théâtre de conflits d’intérêt politiques qui ne sert pas aux acteurs culturels dans l'exercice de leurs métiers. Nous tenterons de voir quels bouleversements et quelles problématiques émergent en fonction des différents types de collectivités territoriales et des compétences qui leur sont attribuées. Enfin, nous tenterons de dégager les principaux débats qui animent les milieux culturels et qui pourront jouer un rôle important dans les pratiques des opérateurs dans les années à venir.

Régions et métropoles les nouvelles places fortes duterritoire.

La « mesure phare » de la réforme territoriale est assurément le nouveau découpage des régions. De 22 régions métropolitaines, la nouvelle carte en compte désormais 13. Ce nouveau découpage et les fusions évidentes que cela provoque soulèvent un certain nombre de questions. En effet, il existe des disparités régionales et la question aujourd’hui est de savoir comment uniformiser des régions si différentes politiquement sous une même autorité. Concrètement, il existe des régions qui ont un réseau de professionnels, d’agences et une ingénierie solide en direction de la culture, comment opérer la fusion avec des régions qui ont moins d’infrastructures ?Aligner les structures, les budgets, etc. Cela ne se fera pas rapidement et de plus il existe un risque que cette transition soit soumise à des alternances politiques. Un aspect à prendre en compte est également le caractère identitaire que ces découpages territoriaux revêtent. Il y à fort à parier que les nouvelles régions souffrent d’un manque d’identification de la part des citoyens. Tandis que les échelles régionales s’agrandissent, le département semble être le grand perdant de ces réformes même si finalement son pouvoir ne semble pas fondamentalement bousculé. La suppression de la clause générale de compétences qui permettait aux collectivités territoriales d’agir quand cela semblait nécessaire rend la distribution des compétences entre les départements et les régions beaucoup plus stricte. Bien sûr il y à toujours des possibilités de contournement de cette clause, et les collectivités peuvent toujours agir vis à vis de la culture en argumentant qu’elles agissent pour un domaine de compétence qui leur est attribuée. A l'heure actuelle, les compétences des départements semblent rester les mêmes et le Sénat a bloqué nombre de lois visant à les amoindrir. Finalement ce qui semble le plus pénaliser les départements c’est la nouvelle affirmation des métropoles au sein du territoire. Les métropoles se voient désormais doter d’un droit de négociation avec le département afin que celui-ci n’intervienne plus sur son territoire. Bien entendu les métropoles se verront transférer les moyens économiques et humains octroyés par les départements sur leur zone géographique. Ce droit de négociation des métropoles est potentiellement créateur d’inégalités territoriales, on peut aisément imaginer qu’une métropole se dote de meilleurs établissements scolaires que les territoires ruraux du département. Les métropoles deviennent les nouveaux poumons économiques de l’État avec des objectifs de rayonnements supranationaux. Il y a un risque que cette réforme renforce l’exode rural et accentue les inégalités d’accès à la culture, à l’éducation, et aux prestations sociales.

La nouvelle géographie des compétences locales.

Le projet de la loi NOTR de Manuel Valls est bien de redessiner une carte des intercommunalités comme nouvelle place forte de la politique locale. Les intercommunalités vont devoir s’élargir et regrouper plus de 20 000 habitants. Beaucoup diront que cette perspective est vouée à terme à redéfinir le statut des communes mais pour l’instant aucune mesure n’est prise en ce sens. Afin d’accompagner les fusions des communes aux intercommunalités, l’État a décidé de simplifier les procédures. Ce n’est pas tout, les intercommunalités vont désormais voir leurs compétences se multiplier :gestion de l’eau, des déchets, des transports,… de nouvelles compétences qui placent les EPCI au cœur du pouvoir politique local. Le coup dur infligé à cette dynamique c’est la baisse des dotations aux collectivités locales estimée à 11 milliards d’euros sur 3 ans. Si l’on prend en compte les prestations obligatoires, la marge de manœuvre des collectivités se resserre. Le problème étant que la culture n’est pas une compétence obligatoire de ces collectivités et que ce pourrait bien être les milieux culturels qui souffrent le plus de ces baisses budgétaires. Hormis l’argument économique, l’investissement dans la culture reste un choix éminemment politique à savoir si les collectivités vont continuer à distribuer des subventions, de quelles manières et surtout quelle est la part de l’investissement culturel dans leurs finances. Finalement les compétences des EPCI vont être soumises à des hiérarchies d’importance. Le climat ambiant est morose quand on sait que les départements qui ont subi les réformes touchant à leurs compétences pourraient se désintéresser de la question culturelle au profit d’une concentration sur leur rôle social. Finalement l’obstacle principal à l’investissement culturel reste cette baisse de budget drastique, cependant il ne faut pas mettre de côté l’idée que la transition géographique et administrative des collectivités territoriales peut avoir une forte influence sur le volontarisme politique vis à vis des projets subventionnés. Les milieux culturels doivent revendiquer leur place dans ces nouvelles organisations et ne pas adopter une posture défensive qui pourrait les desservir.

Vers une décentralisation des compétences culturelles ?

La décentralisation est un des concepts fondateurs des politiques publiques « à la française ». Il en est de même pour la culture où depuis Malraux on ne cesse de tenter de lutter contre les inégalités territoriales en décentralisation les compétences culturelles vers les régions.Les DRAC sont nées de ce constat et représentent le pouvoir culturel de l’Etat en région. La réforme territoriale remet en jeu la question de la décentralisation des compétences politiques et beaucoup en profitent alors pour questionner le statut des DRAC. Emmanuel Négrier a publié un article qui a fait beaucoup de bruit, sa proposition, transférer les DRAC aux régions. En effet, depuis les années 90, le ministère a laissé apparaître les DRAC comme des acteurs territoriaux plutôt que comme des annexes de la rue de Valois. Cette politique a permis aux DRAC d’affirmer une certaine légitimité vis à vis de leurs territoires et une certaine autonomie dans les directions prises localement. La critique émise par nombre d’opérateurs culturels est la suivante : il existe une tradition culturelle du ministère qui ne permet pas l’émergence de nouveaux acteurs. Une autre manière de dire que ce sont toujours les mêmes qui reçoivent les enveloppes du ministère. Les DRAC ont réussi ce tour de force de s’émanciper petit à petit du pouvoir central et apparaissent aujourd’hui comme des agences sous tutelle du ministère avec un pouvoir décisionnel interne fort.La dernière étape selon Emmanuel Négrier serait de basculer les crédits duMinistère vers les régions et ainsi donner une autonomie et une assise territoriale aux DRAC. Pour Emmanuel Négrier il faut que la France aille plus loin dans son entreprise de décentralisation, et cela passe par l'élimination d’un certain nombre de charges de travail. Evidemment, cette proposition choc a soulevé beaucoup de critiques car elle remet en question le pouvoir du Ministère et son rôle. Encore une fois il y a de réels conflits d’intérêt à transférer des compétences politiques. De plus il faut noter que les compétences sont régies par la constitution et donc que beaucoup de transferts de compétences vont nécessiter des réécritures constitutionnelles.

Quelle place pour la culture au sein des conférences territoriales de l’action publique ?

La loi sur la modernisation de l’action publique instaure un nouvel organe politique : la Conférence Territoriale de l’Action Publique. En effet, à l’heure où les compétences sont redistribuées, et que la tendance est aux politiques à échelle locale, le milieu culturel s’interroge sur sa possible participation au pouvoir décisionnel local. Si la culture revêt un aspect particulier au sein des politiques publiques, c’est qu’elle nécessite une expertise et une ingénierie bien différentes de celles communément trouvées au sein des organes de décision. L’idée de décentralisation des DRAC de EmmanuelNégrier induit la nécessité de créer un parlement de la culture à échelle régionale. Cette proposition permettrait aux politiques culturelles de s’inscrire dans le long terme et de ne pas être soumise aux échéances électives.Le parlement local pourrait-être un vrai outil démocratique où les pouvoirs de décision seraient partagés entre les élus, les opérateurs culturels, les publics, les artistes, etc. Les financements comme les orientations seraient alors décidés à l'échelle locale. Bien entendu, ces « parlements locaux » ne doivent pas forcément remplacer les agences culturelles qui sont en général compétentes. Cependant ces conférences territoriales pourraient jouir d’une légitimité forte en impliquant un certain nombre d’acteurs dans un outil citoyen au service de la culture. On peut également imaginer que ces outils puissent permettre de débattre de manière transversale sur des sujets qui ne sont pas directement étiquetés culturels mais où leurs savoirs pourraient être précieux pour envisager une diversité de points de vues. Pour l’instant ces parlements ne peuvent être créés que par des élus, cependant la loi ne soutient pas forcement la conférence territoriale comme organe de prise de décision. Le rôle de ces conférences reste encore aujourd’hui consultatif, et ce sont aux élus de prendre ou non en compte les revendications qui émanent des débats de la conférence. Il y a bien entendu un risque que ces conférences ne soient que des antennes du pouvoir régional et que les acteurs présents ne soient que ceux communément admis par les élus. Il y a ici un réel outil qui pourrait permettre de recréer des liens entre le milieu culturel et les élus. C'est aux élus de s’en saisir et à l’État d’envisager des modifications constitutionnelles afin que ces conférences prennent de l’importance en terme de compétences mais également qu’elles soient le plus possible représentatives du secteur culturel au sens large.